Cîteaux
Dans la mouvance de la réforme grégorienne, le XI° siècle est marqué par un élan de renouveau monastique caractérisé par un retour aux sources de la tradition. La recherche d'une interprétation de la Règle de Saint Benoît allant dans le sens de plus d'authenticité, d'un plus grand dépouillement liturgique et matériel va à l'encontre du pompeux monachisme clunisien souvent mêlé aux "affaires du siècle". De nouvelles fondations bourgeonnent un peu partout en France et dans le Nord de l'Italie dans lesquelles s'inscrit la réforme de Cîteaux.
Le 21 Mars 1098, une vingtaine de moines, sous la conduite de leur abbé, Robert, quittent l'abbaye de Molesme à Langres et se rendent en un lieu désert, Cîteaux, au sud de Dijon pour y fonder le "Nouveau Monastère". "Ecole de l’amour", leur but est de chercher Dieu dans la pauvreté et la solitude évangéliques, soucieux d'une fidélité intégrale à l'idéal bénédictin. La liturgie est plus sobre, le travail manuel remis à l’honneur.
La vierge Marie y est particulièrement honorée
En raison de difficultés matérielles, du peu de recrutement, les débuts sont difficiles. Albéric succède à Robert rappelé par les moines de Molesme désireux de retrouver "leur" abbé. Nous devons à Albéric la construction du monastère et l'institution des moines convers*. En 1108, un Anglais, Etienne Harding, devient abbé.
Réponse aux appels de l'Esprit pour son temps, le "Nouveau Monastère" ne tarde pas à prendre son essor : les vocations affluent. En 1113, une première fondation donne le coup d'envoi à l'expansion de la réforme. La même année, Bernard de Fontaine, ainsi qu'une trentaine de ses parents et amis, se présentent à Cîteaux et lui donnent une impulsion décisive.
Les fondations se multiplient alors, unies entre elles par la Charte de Charité**. Dès 1125 au Tart dans le diocèse de Langres éclot la première communauté de moniales dont la première abbesse est Elisabeth de Vergy. Très vite des monastères bénédictins, dont les moines de Sainte-Marie du Rivet en 1189, embrassent la réforme.
En 1298, bénéficiant du charisme et de l'action de Saint Bernard, de ses écrits porteurs d'une véritable doctrine spirituelle, l'abbaye de Cîteaux est à la tête d'un Ordre constitué de près de 500 monastères.
A partir du XIV° siècle, divers facteurs, – le développement urbain, l’apparition des ordres mendiants, l’abolition du servage et surtout les grands fléaux que furent la peste noire, la guerre de Cent Ans, l’exil des papes d’Avignon et sa conclusion, le Grand Schisme – amorcent une période de déclin. En point d’orgue, le régime de la commende*** et les taxes causent des ravages tant matériels que spirituels. Avec le séisme que représente la Réforme Protestante, des pans entiers de l’ordre s’effondrent… Après différentes tentatives de reprises en main sporadiques et éphémères, l’Italie, l’Espagne, la France, avec l’œuvre des « congrégations » qui fédère des abbayes en vue d’un renouveau de l’idéal cistercien voient se lever une lueur…
La Trappe
Au XVII° siècle libertin, l’abbé Armand Jean Le Bouthiller de Rancé, un intellectuel brillant et mondain, à la suite d’une forte expérience intérieure, se présente au monastère de la Trappe de Soligny en Normandie dont il était abbé commendataire. Il trouve une communauté moribonde. Les moines jouent à la pétanque dans un monastère en ruine… Décadence… Fort de son expérience de prière et d’un tempérament énergique, Dom Armand s’avère un réformateur zélé. Il restaure la régularité monastique ainsi que la vie fraternelle. Son entreprise fait tache d’huile, il est à la tête de la réforme nommée « trappiste » ou « étroite observance ». Malheureusement ce renouveau ne fait pas l’unanimité de la famille cistercienne qui est désormais divisée : l’étroite observance et la commune observance.
Au XVIII° siècle, les trappistes n’échappent pas à la tourmente révolutionnaire et sont expulsés de leurs monastères. En 1791, sous la direction de Dom Augustin de Lestrange, le successeur de Dom Armand, un groupe de moines se réfugie en Suisse au monastère de la Valsainte rejoint par d’autres moines et moniales. En 1798, devant l’invasion des troupes napoléoniennes, il faut fuir. Deux cent cinquante personnes dont une centaine d’enfants s’exilent jusqu’en Russie.
Les religieux ne reviennent qu’en 1802 en plusieurs groupes, trois de moines, en Amérique, en Allemagne et en Suisse avec Dom Augustin, et trois de moniales, en Angleterre, en Allemagne et en Suisse à la Riedra. Peu à peu, le mouvement regagne l’Europe.
La communauté actuelle du Rivet est issue de la lignée de la Riedra en Suisse. Fondée à Blagnac près de Toulouse en 1852 par les sœurs de Maubec****, elle choisit de se transférer au Rivet en 1938… et de rendre à la prière ces vieilles pierres marquées par l’histoire.
Vers l’avenir
Aux XIX et XX° siècles émergent trois caractéristiques. Les diverses tendances cisterciennes tentent de se rapprocher notamment par une mémorable rencontre le 21 mars 1998 à Cîteaux pour le neuf-centième anniversaire de la naissance du « Nouveau Monastère. » Des fruits de réconciliation percent çà et là. L’ordre cistercien « trappiste » s’étend en Afrique, Amérique latine, Asie qui lui donnent un nouveau visage. Et surtout il bénéficie du nouveau souffle apporté dans l’Eglise par le Concile Vatican II caractérisé par la spiritualité de communion et l’ouverture au monde.
Les dernières années voient une plus grande complémentarité vécue entre moines et moniales notamment au niveau du gouvernement sous l’impulsion de notre actuel Abbé Général, Père Bernardo Olivera, l’émergence plus affirmée de groupes de « laïcs cisterciens » affiliés et une ouverture sur le monde arabe, – fruit du sacrifice de nos sept frères de Thibirine en Algérie, en mai 1996 – et les pays de l’Est. Réparti sur tous les continents l’ordre de la stricte observance compte actuellement 141 communautés de moines et moniales et près de 4100 membres.
Ces succinctes bribes d’histoire peuvent laisser perplexe quant à une image statique et idyllique de la vie monastique. Heureux en est-il, elles peuvent aussi réconforter. Lorsque Robert, Albéric, Etienne, Elisabeth, Bernard, Humbeline, Armand, Augustin… et chaque moine et moniale remet sa vie entre les mains de Dieu pour l’aimer et le servir chaque jour de sa vie, solidaire de ses frères et sœurs en humanité, il ne sait pas d’avance par quels zigzags l’Esprit Saint le conduira et rendra sa vie féconde.
* A l’origine ils étaient des paysans en majorité serfs qui venaient chercher du travail à l’abbaye. Peu à peu ils se sont intégrés à la communauté selon un rythme monastique adapté à leur vie.
** Il s'agit d'un document administratif qui établit un lien d'entraide et de charité entre les différents monastères. Une clause intéressante et originale pour l'époque est l'interdiction pour une maison fondatrice de faire peser des taxes sur une maison fille : chacune doit avoir son autonomie.
*** « Au début la commende n’était qu’une pratique provisoire : le Saint-Siège confiait, par exemple pour le temps d’une vacance de pouvoir, l’administration d’un monastère à un évêque ou à un clerc séculier. A partir du milieu du XV° siècle cette gestion intérimaire du bénéfice d’une abbaye passe, en bien des régions, sous autorité royale ou princière. En même temps elle se mue progressivement en exploitation permanente… Cela cause des ravages qu’aggravent encore les charges fiscales imposées dorénavant par les rois et les papes », explique Père Marie-Gérard Dubois abbé émérite de la Trappe dans « De déclins en renouveau », La Vie, Notre Histoire, hors série n° 3, p. 25, 1998.
**** La communauté de Maubec (Drôme) est actuellement transférée à Blauvac (Vaucluse). Elle compte une vingtaine de moniales.