Monseigneur Pierre-Yves Michel – Evêque de Nancy et Toul

En annonçant l’année jubilaire 2025, le Pape François souhaite que nous puissions « marcher d’un pas plus assuré ». C’est vrai que les difficultés de la vie, les souffrances de notre monde rempli de violence et de menaces sur la vie freinent notre marche. Parfois même, la tentation vient de nous arrêter en route et de nous asseoir, découragés, au bord du chemin. Pour résister à cette spirale, pour devenir des pèlerins d’espérance, le Seigneur nous indique le but du chemin, nous montre la route à suivre et nous donne les vivres dont nous avons besoin.
Le but du chemin
Pour reprendre confiance et courage, il est nécessaire que nous sachions où nous allons. Dans le passage de la 1re lettre de saint Jean (3, 2), nous trouvons une réponse : « Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous le savons : quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables – semblables à Lui, Dieu ! – car nous le verrons tel qu’il est. » Voir Dieu, voilà le but de notre voyage, chers frères et sœurs ! Pas moins que cela ! « Je veux voir Dieu, le voir de mes yeux, joie sans fin des bienheureux, je veux voir Dieu. » Ce chant inspiré de la Bible et du beau livre du bienheureux Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus exprime bien ce désir très profond qui habite le cœur de tout homme, même sans qu’il en ait conscience, car c’est pour cette rencontre d’amour que nous sommes créés. Le Pape François prend à cœur cette question dans la bulle (document à lire et à méditer !) pour annoncer le Jubilé dont le titre est L’espérance ne déçoit pas : « Qu’adviendra-t-il de nous après la mort ? Avec Jésus, au-delà du seuil, il y a la vie éternelle qui consiste dans la pleine communion avec Dieu, dans la contemplation et la participation à son amour infini » (Spes non confundit, n° 21). Le but, c’est le bonheur sans fin, pas une succession de satisfactions passagères qui ne laissent en notre cœur que du vide, mais la certitude d’être aimés qui nous permette de dire : « Je suis aimé, donc j’existe ; et j’existerai toujours dans l’Amour qui ne déçoit pas et dont rien ni personne ne pourra me séparer. » Le but, c’est Dieu, qui nous jugera sur l’amour.
Le but, c’est le bonheur sans fin, pas une succession de satisfactions passagères qui ne laissent en notre cœur que du vide, mais la certitude d’être aimés.
La route à suivre
La route à suivre, nous la connaissons et nous avons sans cesse à la redécouvrir. C’est le Christ Jésus lui-même, qui se présente comme « Chemin, Vérité et Vie » (Jean 14, 6). L’anniversaire du Concile de Nicée de 325 (il y a donc 1700 ans), en plein cœur de cette année jubilaire, va nous permettre de mieux comprendre et d’approfondir notre foi en Jésus Christ, Fils éternel du Père, consubstantiel au Père, c’est-à-dire de la même substance que lui, égal à lui, dans la puissance de l’Esprit Saint. La tentation de réduire Jésus à un homme extraordinaire, très saint mais pas véritablement Dieu, inférieur au Père, resurgit sans cesse. La divinité de Jésus affirmée par notre profession de foi ne fait pas exploser l’unicité de Dieu : « Je crois en un seul Dieu, le Père… Je crois en un seul Seigneur, Jésus Christ, le Fils unique de Dieu… » En exprimant notre foi, nous joignons à l’unicité de Dieu l’unicité de la relation de Jésus à Dieu, dans le prolongement du lien fait par les premières communautés chrétiennes se rappelant les paroles de Jésus : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jean 17, 3). L’Évangile que nous avons proclamé en ce dimanche de la Sainte Famille nous aide à accueillir la révélation du Christ Sauveur. En effet, cet épisode qui se déroule sur trois jours de Jésus perdu, cherché par Joseph et Marie et retrouvé au Temple en dialogue avec les docteurs de la Loi n’est pas une anecdote mais la manifestation de son obéissance au Père ; c’est l’annonce de ce qui se passera plus tard à Jérusalem : Jésus perdu, disparaissant dans sa mort sur la Croix et sa mise au tombeau, cherché par les femmes au matin de Pâques et que les disciples rencontrent sur le chemin quand il leur ouvre les Écritures et leur partage le pain. Exerçons-nous comme Marie à garder ces événements (paroles et actions dans nos cœurs) pour véritablement rencontrer le Seigneur mort et ressuscité, apprendre comme Lui à espérer pour le monde et témoigner de lui. Connaître le Christ, ce n’est pas avoir quelques notions sur lui ; c’est nous laisser toucher par son Évangile qui transforme la vie. C’est naître avec lui à une vie nouvelle. Professer notre foi trinitaire n’est pas une routine machinale, mais c’est reconnaître que Dieu n’est pas solitaire, qu’il est relation, communion d’amour Père, Fils et Esprit et c’est accueillir une lumière sur la personne humaine, faite pour la communion, la rencontre, le don, l’amour. « Renoncer à la Trinité, à la parfaite égalité du Père, du Fils et de l’Esprit Saint dans l’unité de la divinité, ce serait renoncer à notre compréhension de la personne humaine » (Jean-Noël Bezançon, Dieu n’est pas solitaire, p. 44-45). L’enjeu est de taille.
Les vivres dont nous avons besoin
Pour cheminer vers la maison du Père en marchant avec le Christ, « sans nous fatiguer » (cf. Jubilé des jeunes), nous avons besoin d’accueillir les signes d’espérance que Dieu nous offre. Mieux, nous sommes appelés à devenir nous-mêmes des « signes tangibles d’espérance pour de nombreux frères et sœurs qui vivent dans des conditions de détresse » (Spes non confundit, n° 10). Le Pape François prend le temps de repérer les personnes et les situations qui requièrent ce qu’on pourrait appeler une imagination de l’espérance. Car c’est cela, un Jubilé, comme le décrivait déjà la Bible (Lévitique 25, 10 ; Isaïe 61, 1-2) : un temps pour la libération, le pardon et le renouveau ; un nouvel élan pour bâtir la paix, vivre la proximité avec les personnes malades, ceux qui ont quitté leur pays à cause de la guerre ou des catastrophes naturelles, les détenus… Toutes les générations sont concernées : des enfants et des jeunes aux grands-parents ; nous pouvons être touchés par le bel encouragement de François à l’accueil de la vie en direction des époux bien sûr mais aussi des Etats et de l’Église : « Ce désir d’engendrer de nouveaux enfants est une question d’espérance puisqu’il dépend de l’espérance et il produit l’espérance » (Spes non confundit, n° 9). Chacun de nous peut repérer autour de lui celles et ceux qui attendent d’être consolés, relevés, aimés d’une manière très concrète. Soyons audacieux !
Parmi les signes d’espérance que Dieu nous adresse, il en est un qui mérite d’être redécouvert : le sacrement de pénitence et de réconciliation. Comme le dit le Pape François, « la Réconciliation sacramentelle n’est pas seulement une belle opportunité spirituelle, mais elle représente une étape décisive, essentielle et indispensable sur le chemin de foi de chaque personne. Il n’y a pas de meilleure façon de connaître Dieu que de se laisser réconcilier par Lui en savourant son pardon » (Spes non confundit, n° 23). J’ai demandé à tous les prêtres de devenir pleinement au cours de cette année jubilaire des « missionnaires de la miséricorde » (Spes non confundit, n° 23), c’est-à-dire d’être vraiment disponibles pour accueillir les fidèles et célébrer le pardon de Dieu et d’oser des propositions avec leurs équipes paroissiales ou autres, pour aider les fidèles à faire l’expérience de la miséricorde, tout particulièrement dans les églises qui seront désignées comme églises jubilaires et grâce aux démarches qui seront proposées, axées fortement sur les saints et les témoins d’espérance en Lorraine.
Vivons ce Jubilé avec toute l’Église. Je renouvelle l’invitation à créer de petites fraternités de proximité un peu partout dans notre diocèse (pourquoi pas pour lire et méditer la bulle donnant le sens du Jubilé ?) car ce sont des lieux pour expérimenter l’espérance que nous donne le Seigneur, comme une ancre sûre et solide pour notre âme, « nous y agripper en trouvant refuge en Dieu » (Spes non confundit, n° 25). Nous comprendrons alors que notre espérance appuyée sur Dieu va bien plus loin qu’un espoir humain sans garantie de résultat : elle est cette vertu que Dieu nous donne, avec la foi et la charité, pour regarder le monde comme Jésus et y découvrir que son Règne est proche.